De nombreuses jeunes filles en Afrique sont contraintes d’abandonner leur carrière de mannequin en raison des préjugés / Photo: Shutterstock
En Afrique, le mannequinat est un métier en plein essor. Nous en voulons pour preuve, les nombreux défilés de mode et les manifestations d’envergure internationale touchant au secteur de la création, qui se tiennent partout sur le continent. Nuit de la mode au Gabon, Ciseaux d’or et Afrik Fashion à Abidjan, Alphady et son Fima (Festival International de la Mode Africaine), élections de top-modèles à Yaoundé…, les initiatives dans ce secteur d’activité ne manquent pas. De plus, dans les grandes villes africaines, des maisons de casting voient le jour et attirent une multitude de « jeunes gazelles » en quête de gloire, même si le professionnalisme n’est pas toujours au rendez-vous.
Ces mordues du mannequinat ont pour la plupart pour idoles, des Top modèles comme Alec Wek, Naomie Campbell, Tyra Banks et autres égéries du grand « T ». Aficionadas de la mode, elles rêvent d’avoir la carrière d’une Esther Katamariou la renommée d’une Iman Bowie (ndlr : mannequin internationale somalienne).
Victimes de préjugés
Seulement voilà. Les jeunes filles qui embrassent la carrière de mannequin sur le continent, sont victimes la plupart du temps, des stéréotypes propres à la société africaine. En effet, dans certains milieux de puristes africains, voir une jeune fille exercer le métier de mannequin, est considéré comme une atteinte aux bonnes mœurs. Ils trouvent complètement insensé que la femme qui est le symbole de la pureté et dont le corps est sacré, soit amenée à se présenter sous des modèles vestimentaires qui exhibent certaines parties de son corps.
Dur, dur dans ces conditions, de brandir son statut de mannequin, sans être la cible des regards inquisiteurs ou subir les idées préconçues de la société africaine. Michaëlla Djourou, mannequin, formée à l’agence de Mannequinat de la Top–modèle ivoirienne, Fatima Sidimé, la vingtaine révolue, nous explique comment elle a failli abandonner sa passion sous la pression des regards extérieurs. « En Afrique, le métier de mannequin pour la jeune fille surtout,passe mal dans certaines communautés. Très souvent, on nous considère comme des filles aux mœurs légères. Le mannequinat pour eux, rime forcement avec la prostitution, parce qu’il arrive que nous portions des tenues osées lors des défilés. Pour eux notre métier n’en est pas un, c’est un canal de prostitution. Vous comprenez que lorsque les gens se font une telle idée de toi, c’est difficile d’assumer ce que tu fais. Mais il a fallu le soutien et les encouragements des acteurs du milieu, pour que je puisse poursuivre ma carrière. Je suis maintenant forgé et leurs regards ne me disent plus rien », raconte-t-elle.
Amanda Djako qui fait aujourd’hui la fierté d’une importante égérie après son casting à Dakar au Sénégal, dit avoir vécu la même réalité. « Parce que nous portons des vêtements dévoilant le corps, beaucoup pensent que nous sommes des filles faciles. On ne nous prend pas toujours au sérieux. Tous les métiers se valent. Pourquoi dénigrer un métier, parce qu’il dénude parfois le corps ? D’ailleurs, il existe une certaine hypocrisie dans cette histoire. Ceux qui poussent de grands cris en voyant des mannequins en tenue minimaliste évoquent l’éthique, l’atteinte aux bonnes mœurs. Et ces filles qui se promènent ventre et fesses dehors ? Bizarrement, l’on les regarde sans réagir. Le mannequinat en Côte d’Ivoire est encore peu structuré. Les gens ont tellement d’idées préconçues sur ce métier que cela ne facilite pas les choses à celles qui évoluent déjà dans ce milieu ou veulent se lancer. Être mannequin, est un métier comme tout autre. J’encourage toutes celles qui pensent y avoir un avenir, à être persévérantes, et d’ignorer les mauvaises langues », renchérit-elle, manifestement indignée.
Si nos deux premières interlocutrices grâce à leur résilience, continuent leur carrière de mannequin, ce n’est pas le cas pour Awa Koné, 18 ans, 1, 86 m qui a fini par abandonner sous la pression de sa famille qui ne supportait pas de la voir sur le « T », les jambes dénudées. « A un moment donné je me suis resignée à dire stop, car avec la famille, les relations n’étaient pas au beau fixe. J’étais en fait fatiguée de me cacher pour aller aux défilés, parce que mes parents m’ont interdit ce métier. Finalement, j’ai laissé tomber », dit-elle avec beaucoup de regret.
Pour sa part, Solange Ahoussi, étudiante, encourage les filles qui ont embrassé ce métier à faire fi des critiques de la société pour se concentrer sur leur carrière. Son seul souci, c’est que cette activité sous nos tropiques, n’est pas encore suffisamment structurée. De fait, beaucoup se disent que les jeunes filles notamment y vont, parce qu’elles ont échoué à l’école. « C’est un métier comme tout autre et il est noble. Pourquoi les gens ne s’en prennent pas aux hommes mannequins. En Afrique, il est encore difficile d’enlever dans la tête des gens, l’idée selon laquelle il y a des choses que la femme ne doit pas faire. C’est frustrant ! J’encourage vraiment les acteurs de la mode à structurer ce secteur et que les mannequins reçoivent une formation professionnelle sanctionnée par un diplôme qui leur permettra d’exercer et de vivre décemment de leur art. Si ces questions sont réglées, je suis convaincue que ceux qui voient ce métier d’un mauvais œil se raviseront et le mannequinat en Afrique, réussira à décoller parce qu’il y a des filles superbes sur le continent », soutient-elle.
Un métier pas toujours rémunérateur
En Afrique, si la mode a commencé à peser dans les économies, c’est en partie grâce à la contribution des mannequins. Selon le styliste Reda Fawaz, les mannequins sont intégrées dans le système. Il y en a pour les défilés, pour la pub, pour les visuels etc. « Nous, les créateurs, on essaie de les valoriser. Et elles peuvent vivre de leur travail », confie-t-il.
Les cachets pour les défilés sont variables. Une mannequin reconnue peut toucher entre 100 000 et 200 000 francs CFA par créateur. Mais le métier en Afrique n’est pas toujours rémunérateur. Mandjalia Gbané, Miss Côte d’Ivoire 2017, également mannequin, le reconnait. « Il y a beaucoup de problèmes. On a parfois du mal à se faire payer, certains paient mal et tirent les cachets vers le bas. Des mannequins en Afrique peuvent ainsi défiler pour 10 000 ou 20 000 francs CFA, voire pour rien ou des promesses », explique-t-elle.
Cependant pour Fatim Sidimé, la Top–modèle ivoirienne et propriétaire d’une agence de formation de mannequin, il ne faut pas désespérer de la situation. « Il y a un avenir dans le mannequinat, mais il fallait structurer la profession et c’est ce qu’on fait en ce moment », commente-elle. Elle dit réunir régulièrement créateurs, mannequins et même les politiciens pour débattre de la question de la professionnalisation de ce métier. « C’est dur, mais c’est comme ça dans tous les secteurs. Il ne faut pas désespérer, car le meilleur est devant nous », encourage-t-elle.
Thom Biakpa
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